Oenologue-conseil : quel rôle dans l’élaboration des vins ?
Dans le monde du vin, les consultants en œnologie sont l’objet de fantasme. S’ils sont souvent célébrés pour leur savoir-faire, ils sont aussi parfois accusés d’uniformiser les goûts. Alors, quel est réellement leur rôle ? Quelle place occupent-ils dans l’élaboration d’un vin ? Réponse avec Axel Marchal, star montante de la profession et Adrien Laurent, directeur stratégie et développement chez Twins.
Bordeaux, le berceau de l’œnologie
Axel Marchal est aujourd’hui un œnologue-conseil en vue. Il intervient auprès de propriétés aussi diverses que Château Haut-Bailly, grand cru classé de Pessac-Léognan, Château Fleur Cardinale, grand cru classé de Saint-Emilion (pour leur vin blanc), Caiarossa en Toscane (de la famille Albada, qui possède également Château Giscours), ainsi que d’autres propriétés en appellation Sauternes.
En ce sens, Axel Marchal s’inscrit dans une longue lignée d’œnologues-conseil de Bordeaux, dont les conseils sont recherchés en France et à l’international. Pourquoi une telle reconnaissance des consultants bordelais ? La réponse est d’abord historique. Adrien Laurent, directeur stratégie et développement chez Twins, rappelle que ce métier de conseil œnologique a été inventé au milieu du XXe siècle, par Émile Peynaud, professeur à l’université de Bordeaux. On peut noter qu’à l’époque, Émile Peynaud avait déjà été accusé de vouloir « peynaudiser », à savoir standardiser les vins de Bordeaux.
À sa suite, d’autres noms se sont imposés, comme Jacques et Éric Boissenot, Michel Rolland, Stéphane Derenoncourt ou encore Denis Dubourdieu. Des personnalités qui ont été amenées à intervenir à l’international, là où des cépages bordelais avaient été plantés.
Si les parcours de ces consultants sont tous singuliers, ils témoignent souvent d’une proximité avec le monde de la recherche universitaire. Élève de Denis Dubourdieu (fondateur de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin), Axel Marchal est ainsi professeur à l’université de Bordeaux et chercheur en œnologie. À Bordeaux, les échanges étroits entre l’université et la filière sont l’une des forces du vignoble. Axel Marchal vante d’ailleurs les mérites de cette science appliquée :
« Quand je fais du conseil, j’observe sur le terrain des choses que je ne comprends pas. De ces observations empiriques vont naître des projets de recherche conduits en laboratoire. Une fois qu’on a une explication, on met en application dans des propriétés. Et quand on est convaincu que ça fonctionne, on est prêt à l’enseigner. »
Axel Marchal, Oenologue-conseil
Le consultant, un regard extérieur
Avec sa triple casquette – enseignant, chercheur, consultant – Axel Marchal confie ne pas vouloir se retrouver dans le rôle de l’œnologue-conseil qui dirait aux équipes sur place comment faire. Non, pour lui la mission du consultant est de l’ordre de l’accompagnement. « Le rôle du consultant est d’apporter un regard extérieur aux équipes en place, de s’interroger ensemble et d’essayer de construire une réponse basée sur les avis de chacun, les connaissances et notamment le savoir scientifique », précise Axel Marchal. Lors de la vinification du millésime 2022, marqué à Bordeaux par des périodes de canicules inédites, il a ainsi pu apporter à ses clients un recul salutaire. Le consultant se souvient que beaucoup de vignerons étaient inquiets de constater que les niveaux d’acidités étaient très bas. Partisan d’une œnologie peu interventionniste, Axel Marchal n’a cessé d’essayer de rassurer les propriétés, expliquant que lors de la fermentation alcoolique les levures devraient naturellement permettre de faire remonter les acidités. Et c’est ce qui s’est produit.
Des vins les plus identitaires possibles
Face à la nature, Axel Marchal s’évertue cependant à rester humble. Il rappelle que « avec des conditions climatiques particulièrement changeantes, on n’a pas de certitudes. Ce serait même un tort d’avoir des idées arrêtées ».
C’est dans cet état d’esprit qu’il œuvre pour aider chaque équipe à révéler le potentiel de ses raisins. Si les principes de la transformation du raisin en vin sont partout les mêmes – c’est ce qui fonde la science œnologique -, tous les autres paramètres sont différents. Axel Marchal cite d’ailleurs volontiers les paroles de l’œnologue Jacques Puisais : « Un vin doit avoir la tête du lieu où il est né et les tripes de celui qui l’a fait ». Une manière de répondre aux critiques récurrentes sur le métier de consultant : « Mon métier consiste à faire dans un endroit le vin le plus identitaire possible et je pense que tous les consultants partagent cette vision ».
Un brin espiègle, le jeune consultant rappelle que dans un monde où les savoirs œnologiques ne seraient pas du tout diffusés, les altérations du vin qui pourraient survenir seraient un risque de standardisation bien plus important. Son métier est ainsi « de rendre la mélodie la plus audible possible, en la privant de ses fausses notes ».